#antimipim Wallonie: Spécule pas dans mon quartier !

De la spéculation à la gentrification et au mal logement

Dans les principales villes wallonnes, la spéculation immobilière a pour principale conséquence la mise en place d’un processus de gentrification et donc la délocalisation de la population d’origine.

A Charleroi, Liège, Bruxelles, comme à Louvain-la-Neuve, dans la Province du Brabant wallon, les habitants n’ont plus les moyens d’habiter dans leur ville d’origine et doivent déménager dans des régions plus accessibles financièrement au profit de nouveaux habitants plus nantis.

Nous constatons que le processus de gentrification de nos villes se développe généralement en trois étapes. D’abord, la construction d’un commissariat pour rassurer les nouveaux habitants. Ensuite, les gares sont rénovées, pour qu’enfin les terrains et habitations aux alentours prennent de la valeur. Ce processus a pour conséquence – dans le meilleur des cas – d’obliger les habitants à quitter leur ville ou de leur permettre de construire des alternatives d’habitat léger. Cependant, dans la majorité des cas, les ménages sont mis en situation de mal-logement. Ils restent sur place et sont obligés de consacrer une part toujours plus grande de leur revenu afin de se loger, au détriment d’autres dépenses vitales (nourriture – santé – …). A Bruxelles, la moitié environ des enfants vit déjà dans des logements considérés comme inadaptés, insalubres ou trop petits. Au final, les habitants paient très cher un logement qui ne leur convient pas !

Les prix du logement doublent tandis que les revenus stagnent

Cela nous semble important d’exprimer le lien entre spéculation et hausse des prix des biens immobiliers, tant en milieu rural que semi-rural. Les promoteurs immobiliers et les sociétés financières présentes au MIPIM ont des exigences de rentabilité, voire ne s’intéressent à nos villes et à nos logements qu’à condition de pouvoir réaliser des plus-values importantes rapidement. Or ces augmentations du coût de l’immobilier, prenant la forme de gentrification des villes, ont pour conséquence une moindre accessibilité à l’habitat pour la population européenne, l’éviction des habitants et, de manière générale, la négation du droit au logement.

Comme nous l’a montré l’histoire de la spéculation lors des dernières crises, la fièvre spéculative manifestée au MIPIM par les intermédiaires financiers fait grimper le taux d’intérêt, augmente la dette des ménages et des Etats et emmène l’Europe dans une nouvelle bulle. Lorsque les pouvoirs publics vendent leur terrain, ils perdent la maitrise de la terre aux profits d’investisseurs qui construisent bureaux ou immeubles luxueux pour une population d’origine qui n’a pas les moyens d’y habiter.

C’est ce lien entre deux phénomènes : spéculation immobilière et gentrification de nos villes qui justifie notre action lors de ce MIPIM. Cet événement d’envergure réunit de nombreux professionnels de l’immobilier et pouvoirs publics. Au Mipim, nous voudrions mettre en garde les pouvoirs publics qui ouvrent les bras aux investisseurs privés et se laissent séduire par les arguments de croissance économique.

Nous voulons leur rappeler le défi actuel qui est de pouvoir construire et permettre le développement de villes équitables et durables où justice sociale et solidarité sont centrales.

Liquidation totale « tout » doit partir !

A Bruxelles, les gros promoteurs, main dans la main avec les pouvoirs publics, transforment les abords du canal en construisant des immeubles destinés aux classes moyennes et supérieures. Ces travaux semblent aller bien plus vite que la construction des nouveaux logements sociaux, besoin toujours plus pressant (40 000 ménages en attente). Dans les quartiers anciens, les petits propriétaires profitent de l’arrivée d’une nouvelle population et de l’augmentation des prix en délogeant les anciens locataires pour rénover et relouer au double du prix.

Aujourd’hui, la Ville de Charleroi, ancienne zone industrielle ouvrière avec un taux de chômage élevé est un bel exemple de tentative de dynamisation des centres villes par le « nettoyage » des quartiers. Tout a commencé par la rénovation de la gare, en 2010. A ce jour, un nouveau commissariat sort de terre, il a d’ailleurs été primé au MIPIM 2013 ! Depuis deux ans, les rues de cette ville sont difficilement praticables à cause des travaux de grande envergure, les commerces locaux ferment.

A Charleroi, lutter contre la pauvreté pour attirer les investisseurs peut prendre de drôles de tournures, via un règlement anti-mendicité. Les pouvoirs publics mettent en marche des mécanismes visant à punir et délocaliser la précarité via des règlements communaux. En effet, les SDF et les prostituées doivent partir au risque d’être pénalisés par des amendes, mis au cachot ou chassés de la Ville. N’y va-t-il pas d’autre moyen que l’exclusion pour lutter contre la pauvreté ?

Dans tous les cas, nous pensons qu’il est utile de rénover les villes, de les améliorer, mais pas n’importe comment ni à n’importe quel prix pour les populations les moins nanties.

Initiatives citoyennes et résistance à la marchandisation du logement

Alors que les promoteurs, appuyés par les pouvoirs publics et financés par des fonds d’investissements, ont pu transformer le logement en marchandise, beaucoup de citoyens européens essayent d’arracher ce bien de première nécessité des pinces acérées du marché. Ces citoyens se battent pour que le logement redevienne une source de bien-être et forcent l’avenir en squattant des maisons, en logeant dans des yourtes, des caravanes, des roulottes, en construisant des logements légers, … Ces manières d’habiter sont des formes de résistance. En effet, elles permettent de sortir de l’isolement créé par les lois du marché immobilier. Ces héros du quotidien déploient solidarité et créativité pour garder et prendre leur place dans la Ville. Ils sont trop souvent traités en hors-la-loi par les pouvoirs publics et le citoyen lambda se demande si les normes édictées sont encore là pour protéger ses conditions de logement ou pour maintenir un marché immobilier aux seules mains des promoteurs.

Nous invitons les pouvoirs publics à soutenir les démarches d’auto-construction, partielle ou totale, pour les publics précarisés. L’auto-construction est aujourd’hui impossible pour ces publics car empêchée par des obligations légales et administratives. Pourtant, l’auto-construction constitue une réelle piste de réponse à la crise du logement tout en permettant aux habitants l’accès à une formation et à une véritable démarche d’appropriation de leur logement. En effet, les avantages sont nombreux : accessibilité technique et financière, projets mieux adaptés aux besoins des habitants, meilleure maîtrise des coûts, innovation dans la manière de bâtir, plus grande appropriation du projet,… et renforcement de l’estime de soi qui permet parfois de se remettre debout et de se projeter dans l’avenir. L’auto-rénovation – notamment dans les centres villes – pour les personnes ayant un revenu de remplacement est tout autant à dépénaliser dans un contexte où la rénovation et l’isolation du logement permettront seuls le maintien d’un bien qui ainsi ne pourra pas tomber en ruine et arriver aux mains des spéculateurs immobiliers.

Différents projets innovants voient le jour en contournant et en questionnant les cadres légaux. Citons par exemple un projet de Community Land Trust auto-construit visant l’accès au logement et à la ville de 4 familles à faibles revenus. Ce projet, nommé le « CLT des Piges », est en route à Charleroi et est le fruit d’un partenariat entre différentes associations (APL Relogeas, EFT Quelque Chose A Faire) et va permettre à 4 familles d’auto-construire collectivement 4 maisons basse énergie sur un terrain mis à disposition. Les auto-constructeurs, au chômage ou bénéficiant d’un revenu de remplacement (Revenu d’Insertion Sociale) bénéficient du statut « stagiaire EFT » dans le secteur de la construction. La « solution » trouvée ici l’est donc dans un cadre très restreint et ne permet pas d’élargir le modèle ! De plus, ces personnes bénéficieront d’un accompagnement qui les guidera durant 2100 heures de formation : il s’agit bien ici de promouvoir l’auto-construction accompagnée par des professionnels. Enfin, afin de pérenniser le projet, l’EFT donne en bail emphytéotique le terrain à une fondation « CLT-rue des Piges » qui elle-même cède un droit de superficie aux auto-constructeurs qui construisent indistinctement les 4 maisons : technique poteau/poutre et ballots de paille. Celles-ci seront attribuées en fin de gros oeuvre, les auto-constructeurs en deviendront donc les propriétaires.
Ce projet est porteur d’une nouvelle vision de l’accès aux logements centrés sur la solidarité et l’équité. Mais aussi d’un autre mode d’accès à la terre, lui redonnant son caractère de bien commun, de fonction sociale, loin de l’idée de la propriété individuelle du foncier. Les pouvoirs publics et les collectifs d’habitants ont ainsi l’occasion de rester les propriétaires de leur territoire, les habitants – même propriétaires – étant usufruitiers de l’espace foncier. Nous invitons les pouvoirs publics à reproduire ce modèle et à soutenir ces initiatives en changeant les législations afin que ces innovations soient reproductibles à souhait!
Recommandations

Une des réponses à la crise du logement se trouve dans le développement d’une pluralité de formes d’accès au logement, notamment par la construction de logements de qualité accessibles à tous, pour tous et partout.

Nous proposons aux pouvoirs publics d’enfin réguler courageusement la spéculation immobilière en garantissant des logements accessibles, en priorité pour les bas revenus mais aussi pour les jeunes, les personnes âgées et les classes moyennes. Les réponses déjà imaginées, telles que la réquisition douce, sont sans doute insuffisamment utilisées.

Nous invitons les pouvoirs publics à prendre en considération les nouveaux modes d’habiter comme une solution valable à l’accès au logement (logement léger), en créant des zones où la spéculation est interdite. Il est capital d’impliquer les habitants dans l’organisation et la gestion de la ville et dans leur habitat en favorisant les initiatives locales, collectives et solidaires.
Nous adhérons aux formules de type Community Land Trust développées ailleurs dans le monde, reposant sur la séparation du terrain et du bâti, sur une forme de gestion coopérative et qui réinvestit la plus-value dans le logement pour limiter les effets spéculatifs en cas de revente. Ces mécanismes permettent donc aux pouvoirs publics de ne pas revendre leur terrain à des sociétés (étrangères). C’est une des réponses participatives aux conséquences inhérentes à la spéculation.

Loin de diaboliser les investissements dans notre pays, le sens de notre action consiste à mettre l’humain au centre de son habitat et d’appliquer le droit à la Ville pour les citoyens. Toute personne a le droit de vivre dans un lieu choisi et adapté. Habiter n’est pas se loger, habiter signifie s’impliquer dans le monde, y participer et participer à sa transformation. Cela suppose que le logement ne soit pas conçu comme une marchandise et, pour cela, de l’abstraire de tout système spéculatif immobilier. Le logement ne peut se résumer à une marchandise. La terre doit rester un bien commun accessible à tous aujourd’hui et aux générations futures.
En tant que délégation des associations belges au MIPIM, nous renvoyons vers les pouvoirs publics, l’opinion publique et les investisseurs propriétaires qui ont une responsabilité morale et sociale, plusieurs questions qui nous préoccupent et motivent notre mobilisation.

  • Qu’est-ce que nos ministres et nos pouvoirs publics sont en train de faire au MIPIM ? Ont-ils conscience des conséquences de la spéculation immobilière lors de la plupart des actions de rénovation urbaine – développement urbain ?
  • L’habitat peut-il être un objet de spéculation ? Comment mettre en place des mécanismes anti-spéculatifs ? Quelles législations permettraient de ne pas réduire le logement à une simple marchandise ?
  • La spéculation, la gentrification des villes sont-elles compatibles avec le droit au logement, pourtant inscrit à l’article 23 de notre constitution ?
  • Les investisseurs et pouvoirs publics, sont-ils réellement conscients des dommages collatéraux qu’engendre la spéculation dans notre pays ? Existe-t-il des études quantitatives et qualitatives menées sur le sujet ces dernières années ?
  • Les pouvoirs publics peuvent-il garantir que l’investissement dans l’immobilier est un moteur économique dans notre pays, dans un contexte de libre circulation des travailleurs en Europe ?